Un sénateur exhorte Pompée à défendre Cicéron contre Clodius

par Jean François de La Harpe (1739-1803), alors élève du Collège d’Harcourt

Premier prix de discours français au Concours général de 1757

Si jamais on a pu voir que le sort des états est attaché à celui des grands hommes qui en sont l’appui et l’ornement, c’est surtout dans ces temps malheureux pour Rome, où l’audace va triompher de l’innocence, où la tempête qui menace la tête de Cicéron semble ne devoir éclater sur lui, qu’en écrasant la république? Vous ignorez sans doute, illustres Romains, l’état affreux de la patrie. La maîtresse du monde est dans le désordre et l’effroi; l’horreur y règne de toutes parts; les lois ne sont plus respectées, la violence décide de tout, la place publique est devenue un champ de bataille où le fer à la main chacun défend ses droits; le sang coule dans les temples, et le crime triompje jusqu’au pied des autels. L’audacieux Clodiusn escorté d’une troupe insolente d’esclaves armés, tient le sénat comme assiégé, et fait taire les lois devant lui, et ce faible conseil, craignant la mort plus que le déshonneur, va livrer Cicéron à son implacable ennemi. Ah Pompée! quelle honte pour les Romains, s’ils laissent leur conservateur succomber sous les violences d’un scélérat! Quel serait l’étonnement de l’univers et l’indignation de la postérité! On verra donc errant de contrées en contrées, banni de sa patrie, ce grand homme à qui elle est redevable de son salut; cet homme, je ne dis pas le plus grand des orateurs, le plus grand des philosophes (ce sont les faibles titres de sa gloire), mais le plus intrépide défenseur de la liberté, l’invincible soutien de l’état, l’ennemi déclaré des méchans, lui devant qui tomba terrassée l’audace de Catilina, qui bravait les dieux et épouvantait les mortels? Vous sentez, Pompée, que sa chute seroit l’oppobre non seulement de tous les Romains, mais surtout de ces concitoyens distingés par leur crédit et leur autorité, et qui pourraient le garantir du coup qui le menace; et ce coup serait plus funeste encore pour la république que pour lui.

Hélas! dans ces temps déplorables où les orages les plus terribles ont succédé aux beaux jours de la république, où la licence n’a point de frein, où les forfaits servent de degrés à l’élévation, Cicéron peut être encore longtemps une barrière contre le vice. Au milieu de l’état, c’est une colonne qui peut encore le soutenir. Les méchans le redoutent puisqu’ils veulent le perdre; il n’y a point de traité entre le crime et la vertu. Quel bonheur serait-ce donc pour la république, si les efforts des mauvais citoyens devenaient inutiles, et si l’état conservait Cicéron! quelle gloire pour celui qui viendrait à bout d’un si grand dessein! Je ne suis pas surpris que d’indignes consuls, un Gabinius, un Pison, les plus misérables des mortels trahissent l’état, et abandonnent Cicéron; ils sont payés par Clodius pour servir sa fureur, et le vil intérêt, cette passion des âmes lâches, a toujours vendu le plus faible au crime du plus fort. Mais vous, Pompée, qui avez mis votre grandeur dans votre amour pour la patrie, vous, lié avec Cicéron par des nœuds que la vertu a formés, verrez-vous d’un œil indifférent le danger de votre ami? Pompée favorisera-t-il Clodius? un héros pourra-t-il seconder les efforts d’un scélérat? le plus grand et le plus vertueux des hommes s’unira-t-il au plus criminel? Non, Pompée aime encore sa patrie; la gloire a encore de l’emprie sur son âme; elle en a toujours sur les grands cœurs; vous ne ternirez pas l’éclat de tant de victoires et de tant de vertus en laissant opprimer votre amo et l’état avec lui. Vous ne laisserez pas le champ libre au furieux Clodius, qui n’est que l’aveugle instrument d’un autre homme qui a de plus grands desseins; vous vous souviendrez que Cicéron a toujours autant qu’il a pu contribué à votre élévation; que c’est lui qui a engagé le peuple à vous donner le commandement des flottes contre les pirates, et des armées contre Mithridate. Sans doute votre mérite était digne de ces emplois brillans; mais du moins Cicéron a levé tous les obstacles que l’envie vous opposait. C’est cette amitié constante qui doit maintenant parler en sa faveur. Ces âmes vulgaires que le crime ou l’intérêt unit, ne sont pas à l’épreuve des moindres revers; mais ces liaisons fondées sur un amour égal de la vertu, affermies par un zèle commun pour le bien public, ces amitiés des héros doivent croître dans les infortunes et briller dans les dangers. C’est ce que demande de vous l’état alarmé, dont vous êtes l’espérance; c’est ce qu’attend de vous le monde plein de votre gloire; c’est ce qu’exige l’attachement que Cicéron vous a toujours témoigné. Remplissez un devoir si légitime et un si glorieux espoir. Sauvez Cicéron pour lui, pour l’état et pour vous.


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