1/ SUJET
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Son plan comporte quatre parties :
I. Identification de plusieurs extraits d’œuvres enregistrées
II. Analyse musicale d’un extrait d’œuvre non identifié accompagné de sa partition ou de sa représentation graphique
III. Commentaire comparé de deux extraits d’œuvres enregistrées, diffusés successivement à plusieurs reprises
IV. Essai à partir d’un document témoignant de la vie musicale contemporaine
2/ Copie du premier prix, Armand BRUNET
PARTIE I.
Extrait 1
Dans cet extrait on entend un ensemble vocal accompagné d’un piano. L’esthétique est moderne, voire contemporaine : on l’entend aux harmonies écrites sous forme de « clusters », à l’utilisation du piano comme instrument percussif de ponctuation, avec notamment des effets de timbre au début de l’extrait. Ce fouillis sonore se caractérise également par l’utilisation qui est faite de la voix, avec des entrées succinctes très rapprochées, des effets sonores à la bouche qui créent comme une forme de masse sonore mystique se déployant et se rétractant très rapidement. On peut penser par exemple à Ligeti comme compositeur potentiel de cet extrait.
Extrait 2
On peut reconnaître la date d’enregistrement et donc probablement la date de création de cet extrait au grain caractéristique des enregistrements de la première moitié du XXe s. Les limitations techniques rendent l’identification de l’instrumentation plus ardue. On distingue toutefois un violon, une trompette, un saxophone et un piano. Le style est aussi caractéristique de l’époque, s’inscrivant dans une esthétique jazz très dansante, avec des éléments caractéristiques tels que la « walking bass », le swing ou les différents solos mettant en valeur les capacités de chaque instrument et de chaque musicien.
Extrait 3
Cet extrait est assez déroutant de par l’antinomie de ses éléments. En effet, le caractère très dansant assuré par les rythmes pointés, le rythme en 3/4 ainsi que par la grosse caisse qui marque d’abord les temps 1 et 3, puis ensuite le premier temps, l’omniprésence de l’ornementation, ainsi que les grands contrastes de nuances, de caractère et d’harmonie présents au sein de ce court extrait font penser à une œuvre éminemment baroque. Toutefois, la présence du piano est assez anachronique par rapport au style de la pièce. Le piano n’est en effet apparu que plus tard, le clavecin étant l’instrument dominant à l’époque. On peut donc penser qu’il s’agit d’une revisite sur instruments modernes d’une pièce baroque ou du moins composée dans un style baroque.
Extrait 4
Cette pièce est un quatuor vocal accompagné d’un instrument à cordes pincées difficile à identifier qui s’inscrit dans un style de la Renaissance : on peut penser par exemple à Josquin des Près.
En effet, on distingue une écriture très contrapuntique et linéaire de grands contrastes et un jeu d’antiphonie entre les deux voix supérieures et les deux voix inférieures qui confèrent à la pièce une certaine légèreté et quelque chose de presque théâtral dans la manière dont les voix se répondent.
Extrait 5
Cet extrait, qui se caractérise par son unique utilisation de voix de femmes fait penser à un chant traditionnel, peut-être à caractère liturgique, avec des harmonies et des gammes extra-européennes.
La première partie se fait en monodie avec d’abord une voix a capella qui est ensuite rejointe par un chœur à l’unisson. Quelques rares harmonies offrent une grande surprise et un grand appel d’air pour l’auditeur et ancrent cette pièce dans un contexte extra-européen. L’écriture reste cependant très horizontale avec par exemple des doublures à la quarte qui n’existent pas dans la musique tonale occidentale. L’utilisation de modes assez inhabituels pour nous confère une couleur toute particulière à cet extrait. L’extrait se termine par une pédale toujours chantée au-dessus de laquelle évolue la mélodie puis se clôture avec une voix seule. On peut donc penser à une forme en arche pour cet extrait, tant pour l’intensité de la musique que par le nombre de voix utilisées.
Extrait 6
Ce dernier extrait, pour orchestre, s’inscrit dans une esthétique très classique, très XVIIIe siècle, basée sur le modèle de la mélodie accompagnée d’Haydn ou Mozart, par exemple.
Malgré la présence certaine des cordes, on constate toutefois une omniprésence des bois, assez étonnante pour l’époque où les bois ont une importance souvent bien moindre. La flûte et le hautbois sont particulièrement mis en valeur dans des formules quasi-cadentielles. On peut donc penser à un double concerto ou à un concerto grosso, vu l’omniprésence des bois dans la musique.
Le style classique se caractérise par une relative simplicité harmonique, le morceau restant ancré dans sa tonalité principale de mi bémol majeur et ne faisant que quelques emprunts en do mineur par exemple. La formule de la mélodie accompagnée avec les bois à la mélodie, le cor en résonance et les cordes en arpèges est une autre caractéristique du classicisme.
PARTIE II)
1) Il s’agit d’une forme rondo de la forme suivante :
A | B | A | C | Cadence | A | |
Mesures | 1-17 | 18-61 | 62-78 | 79-106 | 107-120 | 121-fin |
Tonalités principales | Do mineur | Mi bémol Majeur | Do mineur | La bémol Majeur | La mineur | Do mineur |
2)
De la mesure 79 à la mesure 106, la thématique est mobilisée d’une manière assez surprenante selon une sorte de « thèmes et variations » au sein même de l’extrait. Le style éminemment contrapuntique de cet extrait est une véritable rupture avec l’écriture pianistique classico-romantique du reste de l’extrait. Le thème est d’abord exposé dans sa forme la plus simple avec un simple basse, puis se déploie dans une écriture qui fait penser à l’écriture chorale dans son caractère très vocal, épuré et linéaire, mais sans les limitations imposées par les tessitures des chanteurs. Le thème, après avoir été développé de cette façon, est repris dans un style d’écriture bien plus propre au piano, avec une gamme diatonique descendante comme seule harmonisation.
Il est intéressant de noter que dans ces deux extraits la nuance est utilisée conjointement avec l’étendue progressive des registres utilisés. En effet, le crescendo musical déjà présent par les registres est ici appuyé par une nuance écrite et un procédé finalement assez orchestral, où tous les éléments musicaux (tessiture, densité, nuances) sont utilisés conjointement pour exacerber une intention musicale.
À la mesure 107 débute une séquence assez difficile à caractériser, qu’on pourrait qualifier de « quasi cadenza » bien que tout soit rigoureusement écrit et précisé. Une grande agitation est conférée par le retour en do mineur, l’écriture en arpégé très dynamique mettant en valeur la virtuosité du pianiste. Bien que cela s’inscrive dans un contexte différent de celui décrit précédemment on retrouve le même procédé de déplacement de la masse sonore de la basse vers l’aigu avec des nuances et un crescendo très important, piano à fortissimo en quatre mesures. Le choix est d’autant plus judicieux que, par la résonance du piano, le déplacement de registre crée comme une masse sonore qui s’accumule renforçant d’autant plus l’intention musicale.
C’est donc un passage qui, de par son caractère central et sa fonction assez libre au sein de la forme rondo , se permet d’explorer de multiples possibilités d’écriture au piano.
3) Cette pièce pour piano seul est marquée par une esthétique qu’on pourrait placer à la lisière entre le classicisme et le romantisme. On peut penser qu’il s’agit d’un extrait d’un mouvement d’une sonate, ce type de pièce étant la plus utilisée à l’époque pour mettre un instrument seul en valeur.
Comme caractérisé de manière plus spécifique dans la question précédente, cette pièce fait un usage assez développé par l’époque des possibilités pianistiques. Si l’on compare cet extrait avec, par exemple, le premier mouvement de la sonate en ré majeur de Mozart, le piano prend ici bien plus conscience de son indépendance en tant qu’instrument. En effet, les sonates pour piano de Mozart sont finalement assez orchestrales dans leur écriture et sont assez aisées à transposer à l’orchestre. L’écriture pour piano de Mozart n’est pas tellement pianistique en elle-même : bien qu’il utilise des formules d’écriture propre au piano, ses œuvres pour piano pourraient tout aussi bien être des réductions de ses pièces d’orchestre. Il n’y a pas véritablement deux façons différentes d’appréhender les deux médiums.
On pourrait placer le point de bascule à Beethoven, où le piano prend une véritable indépendance stylistique par rapport à l’écriture pour orchestre, et cela va de pair avec une plus grande virtuosité nécessaire pour l’exécution de ses œuvres. On peut citer par exemple le célèbre troisième mouvement de la Sonate au clair de lune de Beethoven, où l’orchestration d’une telle œuvre nécessiterait de réelles modifications et une grande réflexion pour l’adapter à l’orchestre, sans que le rendu final apporte une plus-value par rapport à la version pour piano, là où l’orchestration d’une pièce de Mozart relève presque plus de l’instrumentation que véritablement de l’orchestration.
Cet extrait se situe donc presque entre ces deux façons différentes d’appréhender l’écriture pour piano. La partie A est sans doute la plus classique, avec la formule de mélodie accompagnée par des arpèges et en basse d’Alberti. C’est vraiment dans les parties intermédiaires que le piano se libère de ses codes classiques et va vers quelque chose de beaucoup libre, non seulement dans l’écriture pianistique mais aussi dans la densité stylistique. On note en effet des modèles d’écriture très éclectiques dans ce court extrait de deux minutes avec une écriture quasi-chorale de la mesure 79 à 94, une écriture assez contrapuntique avec une alternance main gauche-main droite caractéristique du piano de la mesure 51 à 56 ou encore une écriture beaucoup plus virtuose et démonstratrice en arpégé de la mesure 107 à 112, encore une fois caractéristique d’effet pouvant être rendus exclusivement au piano.
Ce sont donc autant d’éléments d’écriture pianistique qui placent ce supposé mouvement de sonate à la lisière entre le classicisme et le romantisme.
Question II.4
PARTIE III.
À première vue le lien entre Bach et Perrine n’a rien d’évident. En effet, les deux compositeurs et les deux œuvres sont diamétralement opposés d’un point de vue d’abord historique, l’un appartenant à la période baroque, l’autre à la période contemporaine, géographique, l’un étant allemand l’autre français, dans l’instrumentation, avec un clavecin d’une part et une musette accompagnée d’un quatuor à cordes de l’autre et d’un point de vue stylistique. Cependant, le lien peut être établi dans la fonction même de cet extrait au sein d’une œuvre plus large : le final d’une suite, une « Gigue » se trouvant généralement à la fin d’une suite de danses et un « Finale » qui s’explique par lui-même. D’autre part, une suite fait référence à une zone géographique précise, l’Angleterre pour Bach et la France pour Perrine. Nous nous interrogerons donc sur la manière dont Bach et Perrine usent d’éléments musicaux semblables ou opposés dans un contexte et un objectif musical comparables.
La différence la plus notable entre les deux œuvres est le choix de l’instrumentation qui implique nécessairement une différence stylistique d’écriture. En effet, le clavecin, par sa nature, implique une écriture contrapuntique avec deux voix nécessairement égales. À l’inverse, le choix d’une musette accompagnée quatuor à cordes implique une hiérarchie entre les deux groupes, avec la mélodie principalement à la musette et une formule d’accompagnement au quatuor à cordes. Par conséquent, malgré quelques éléments contrapuntiques chez Perrine, l’écriture reste très harmonique et verticale.
D’un point de vue rythmique ou d’un point de vue technique les deux s’opposent, avec chez Bach quelque chose de très régulier et droit, avec un débit de doubles croches quasi ininterrompu du début à la fin, et, chez Perrine, le style implique une plus grande liberté écrite, avec des rythmiques binaires et ternaires qui s’intervertissent et des ralentis et des accélérés qui relèvent de quelque chose de plus organique. Cependant, du point de vue du ressenti, il y a quelque chose d’assez similaire. En effet, il y a une certaine stabilité et un certain ancrage chez Bach de par la stabilité et le début continu, mais aussi chez Perrine avec un ostinato rythmique à la basse et une forme très répétitive. Les deux pièces se retrouvent également dans le paradoxe d’avoir des éléments qui instaurent un certain ancrage et des éléments venant perturber cette régularité et conférant un aspect presque haletant aux deux œuvres. Chez Bach, cela se caractérise par le style contrapuntique qui implique naturellement, par son horizontalité, un mouvement très dynamique et ininterrompu. Chez Perrine, cela peut se caractériser par un intérêt toujours renouvelé, malgré la structure répétitive, avec des accents placés sur des contretemps, des changements de métrique et de tempi, ainsi que des changements d’ambiance et d’univers (dansant et endiablés, lyrique et pittoresque) très marqués.
Ainsi, malgré tant d’éléments qui les opposent, ces deux pièces se caractérisent finalement toutes les deux par ce qui fait un final réussi : une dichotomie virtuose entre une grande stabilité avec une direction globale définie et des éléments qui viennent perturber cet ordre pour maintenir éveillée l’attention de l’auditeur.
PARTIE IV.
La réflexion que propose Philippe le Guern dans cette analyse est très intéressante. En effet, l’essor et la démocratisation d’outils permettant d’abord l’enregistrement puis ensuite la modification du matériel musical a posteriori ont fortement changé l’approche que nous avons de la musique. Bien que les problématiques soulevées semblent principalement s’intéresser à la musique dite populaire au sens très large du terme, on peut également l’appliquer dans une certaine mesure à la musique dite savante.
Comme évoqué dans sa réflexion, il convient de distinguer deux types d’autotunes : d’une part, l’autotune comme effet de timbre intrinsèque au style musicale qui l’utilise. On peut par exemple citer le tube de Daft Punk « Around the world » où la transformation de la voix est assumée et même nécessaire à l’esthétique électronique globale de l’œuvre. D’autre part, il y a l’autotune des défauts techniques de chant, qui n’a pas vocation à être remarqué par l’auditeur et qu’il convient d’appeler « pitch correction », l’autotune étant un logiciel spécifique. En réalité, c’est à peu près l’ensemble des productions vocales enregistrées des quinze dernières années de musique grand public qui comporte un « pitch correction » plus ou moins marqué. Certains films récents ont d’ailleurs fait l’objet de vives critiques par rapport à une trop forte dépendance des acteurs à l’autotune pour assurer une performance chantée correcte. On peut citer par exemple « The Greatest Showman » (2016) ou « West Side Story » de Spielberg (2021). Dans ces cas là, le débat est en effet légitime, puisque l’autotune ne se justifie en aucun cas stylistiquement : dans le contexte paradoxalement très artificiel d’une comédie musicale, la voix est censée jaillir naturellement du personnage pour appuyer un moment-clé.
Attardons nous sur cet aspect-là de l’autotune, celui du « pitch correction » qui, du point de vue de l’auditeur n’est pas censé entraver le naturel de la performance. Ce basculement vers un tout autotune n’est pas la cause, mais bien la conséquence d’une industrie musicale qui a été considérablement modifiée au cours des dernières décennies. La starification des chanteurs et le poids des labels a en effet beaucoup modifié les critères de réussite d’un artiste. La popularité, la notoriété, la beauté ou le potentiel d’identification du public à l’artiste sont autant de critères qui placent la technique vocale pure à un statut quasi secondaire. C’est un phénomène qui est exacerbé dans les comédies musicales adaptées en film, où les interprètes ne sont même plus des chanteurs, mais, la plupart du temps, des acteurs de formation, comme Emma Watson dans le rôle de Belle en 2017.
D’autre part, l’enregistrement implique une diffusion à grande échelle, d’autant plus de nos jours avec la multiplication de plateformes d’écoute en ligne. Ainsi, une perfection absolue de l’enregistrement est attendue par tous les acteurs de l’industrie : les artistes, les producteurs et les consommateurs. L’enregistrement crée donc une forme de pression tacite pour une perfection quasi inatteignable, là où de micro-défauts seront bien plus facilement oubliés voire ignorés dans un contexte live.
Bien que l’industrie de la musique classique soit moins encline à une sur-starification que la musique populaire, le niveau d’exigence attendu sur un enregistrement est peut-être encore plus élevé. Ainsi, la plupart des disques classiques sont en réalité des montages de différents extraits pour gommer toutes les imperfections inévitables sur des œuvres souvent bien plus longues que dans la pop (terme global). Dans la musique instrumentale, c’est sans doute dans la musique de film que ce que jouent les musiciens est le plus transformé. Si l’on exclut les OST assumés comme hybrides, l’enjeu économique que représente un film, les délais très courts dans lesquels les compositeurs, orchestrateurs et interprètes doivent créer, ainsi que la nécessaire maniabilité du matériel sonore sont autant d’éléments qui impliquent une grande transformation, que cela soit dans le mixage, le tempo, le son des instruments. Danny Elfman dit même que souvent il « aide » des instruments enregistrés en live avec des instruments virtuels samplés.
Ainsi, la radicalité du propos de Philippe Le Guern sur ce point-là mériterait d’être nuancée. On peut en effet regretter que des arts ayant existé bien avant tous ces outils numériques reposent à présent en grande partie sur eux, mais comme expliqué ci-dessus, c’est sans doute un changement inéluctable et peut-être nécessaire à une industrie musicale qui, tous styles confondus, a profondément changé.
Si l’on s’intéresse à présent aux musiques où l’autotune ou le sampling est utilisé comme effet de style et comme élément artistique, le propos de Le Guern est un peu plus étonnant. En effet, pour beaucoup de styles et de genres musicaux, les outils électroniques sont des composants à part entière et indissociables de ces esthétiques. La musique électronique avec Daft Punk est un exemple évident pour l’autotune et, dans le rap, le sampling contribue d’une certaine manière, en reprenant une musique, une esthétique, à en faire l’éloge, la satire ou la critique. Le fait de reprendre un pièce de musique classique en sample peut être vu comme la critique musicale d’une certaine élite. En musique savante, le sampling que fait Max Richter de Vivaldi dans Spring 1, par exemple, n’est, de mon point de vue, pas une réduction du rôle de créateur, mais bien une citation et un enrichissement d’une œuvre précédente. Ces citations, qu’elles soient directes ou transformées, élogieuses ou moqueuses, ne sont pas un procédé que le sampling a inventé, mais bien un procédé que le sampling a élargi et démocratisé.
Pour conclure, l’analyse de Le Guern est intéressante et véridique sur de nombreux points, même si la radicalité du propos peut être critiquée. Cet aspect de la musique peut-en effet être déploré pour des raisons valables, mais difficile à critiquer aussi fermement si on l’appréhende avec un regard plus large et un contexte plus global.