Extrait de la Lettre de l’Association numéro 59 de novembre 2007
La longue et exceptionnelle carrière de Pierre Lelong, premier prix de mathématiques en 1928, l’a mené aux plus hauts niveaux de la recherche scientifique et des responsabilités publiques. Il nous parle ici avec humour et modestie de « son » Concours général.
J’ai conservé du Concours général des souvenirs qui, peut-être, méritent quelque rappel, unis qu’ils sont à la reconnaissance due à une institution qui, sans frais pour l’État, encourage toujours à aller vers des situations d’excellence les meilleurs élèves de nos enseignements et les conduit à se distinguer dès la jeunesse.
Deux souvenirs intéresseront, je crois, les lecteurs de la Revue du Concours et l’Association. Ils montrent, tous deux, comment, déjà dans le passé, le Concours pouvait encourager une jeunesse studieuse et douée, souvent de famille modeste, à se distinguer sans tarder, en lui donnant par le Concours une première réussite notoire.
C’est, je m’en souviens, étant élève de seconde C que j’ai connu l’existence du Concours général. Le proviseur du lycée, afin que soit obtenue une assistance suffisante dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne où aura lieu la distribution des Prix du Concours, me demande d’aller y assister. Je m’y rends donc sans enthousiasme, en modeste figurant. J’y entends alors acclamer l’heureux « :ancien » auquel est décerné un éminent Premier prix. Mais quel est ce prix ? C’est celui de version grecque ! L’heureux bénéficiaire de ce prix dont le succès a suscité mon enfantine jalousie, porte avec grande élégance pantalon et costume de bonne coupe. Il salue sans s’y attarder le jury et le public et son aisance montre qu’il est heureux de nous le faire voir. Et son nom: Georges Pompidou, surprend.
Bien différente, mais cependant passionnante fut pour moi l’année suivante, l’aventure du Concours. Elle a associé pour moi à la joie de recevoir le Prix de mathématiques celle d’un bonheur nouveau, celui de pouvoir résoudre, après plusieurs heures d’une épreuve difficile, un problème d’un style nouveau, et ce fut pour mon jeune âge comme une promesse de succès et de bonheurs futurs. Plus que la satisfaction de recevoir et de fêter un Prix, ce prix de mathématiques que je reçus alors, prenait valeur extrême par l’originalité et l’intérêt de l’épreuve imposée au candidat. Sans dépasser le programme de géométrie de la classe de première C, le problème posé au Concours obligeait à étudier une surface fort simple mais s’étendant à l’infini ; elle était engendrée par la rotation d’une droite illimitée autour d’une autre droite de notre espace. Au cours de cette épreuve sévère, belle et passionnante, j’eus donc, très jeune, à combattre avec comme seules armes à ma disposition la démonstration et la logique mathématiques, et à développer de moi-même une intuition de notre espace que la vie quotidienne avait trop limitée. On m’obligeait ainsi à dépasser le réel quotidien, il fallait lui construire un complément créé par l’esprit, la science et la raison. Ce Concours général fut donc pour moi et mon avenir, plus qu’une épreuve méritoire, il me donnait une inoubliable leçon en introduisant la création scientifique au-delà de l’intuition quotidienne. Et j’avoue que j’ai aujourd’hui encore le regret de n’avoir pas connu alors l’auteur du problème posé.
Ces souvenirs personnels aideront peut-être aujourd’hui les heureux élus du Concours général à revivre eux aussi leurs propres souvenirs. L’épreuve du Concours, sérieusement vécue, est de grande importance. Son souvenir importe parfois plus que la distinction obtenue. Sa valeur est ainsi sociale et humaine au sens le plus étendu et le plus noble et ces souvenirs du passé n’ont fait que rappeler l’existence, l’originalité et l’importance qu’il a parmi nos institutions.