Composition française 1998 par Yoann Gentric 1er Prix

par Yoann Gentric

1er prix de composition française (séries ES, L et S), 1998

Au milieu du XXe siècle, Charlie Chaplin use de son talent burlesque pour dénoncer les nouveaux modes de vie de la société de son époque dans un film référence,  » Les Temps Modernes « . A l’instar de celui-ci, nous évoquons quotidiennement cette notion de modernité, en parlant de danse moderne, de modern’jazz, de style moderne en design… Ainsi au cours d’avril 1997, une émission télévisée diffusée sur Arte étudiait la stratégie d’un candidat au poste de Premier ministre en Angleterre, Tony Blair, et mettait à jour le mot-clé de la campagne de son parti refondé, le  » New  » Labour : moderne, qui revêtait alors plus que jamais de fortes connotations positives, la modernité étant présentée comme un synonyme de progrès. Du reste, l’amalgame est souvent fait entre cette idée de modernité d’une part et celle de contemporanéité d’autre part. En effet Charlie Chaplin traitait plus dans son film de problèmes contemporains que de problèmes modernes. En art, la distinction est plus claire. Tandis qu’on désigne par art contemporain les créations et courants apparus depuis le début du XXe siècle, l’art moderne correspond aux évolutions apportées depuis la fin de la régnance du christianisme sur l’art occidental, vers le XVIIIe siècle. Cette nuance se fait également jour en architecture : aujourd’hui, l’architecte bâtit une oeuvre contemporaine à partir des matériaux et techniques contemporains, et en fonction d’un mode de vie et d’un environnement social contemporains, c’est-à-dire qui correspond à une époque. La tentative de cerner ce que peut être la notion de modernité pourrait ensuite nous conduire à l’opposer au classicisme. Cependant, l’époque classique, en France, sous le règne de Louis XIV, n’a-t-elle pas précisément été témoin de la fameuse querelle des Anciens contre les Modernes, dont Racine, auteur pourtant bien classique, faisait partie ? Tout ceci nous révèle la complexité de la notion de modernité. D’ailleurs, les oeuvres des Modernes d’alors étaient-elles des oeuvres modernes ?

En fait, le terme  » moderne  » prend sa racine dans le mot latin  » modus  » qui signifie  » façon, manière « . La modernité, ce serait donc une nouvelle façon d’être. Une oeuvre est alors moderne si, de par l’originalité de sa forme, elle peut nous faire ressentir autrement la réalité. Les oeuvres de peintres tels que Munch peuvent par exemple endosser ce qualificatif, car la conception du peintre norvégien, qui exprime et inspire à la fois une sensation, comme l’angoisse de vivre dans le Cri, par la recherche de l’expression dans les formes de la totalité de la toile, en particulier du paysage extérieur, qui reflète un  » paysage intérieur « , constitue bien une nouvelle approche qui différencie la réaction du spectateur de Munch de celle des spectateurs d’autres artistes, Kandinsky peut-être.

Pourtant, Vassili Kandinsky incarne bien, lui aussi, cette notion de modernité, puisqu’il a travaillé, avec son ami peintre et compositeur Arnold Schönberg, à établir une correspondance automatique entre sons et couleurs, et qu’il s’est particulièrement investi dans la création de pièces de théâtre synesthésiques, contribuant ainsi à favoriser une nouvelle approche du monde par le spectateur, dont les différents sens sont sollicités simultanément de sorte qu’il puisse découvrir des harmonies inconnues, et que le message de l’artiste acquière une autre dimension, une dimension moderne. Prenons par ailleurs l’exemple du courant littéraire français qui semble répondre à cette définition d’oeuvre moderne, le nouveau roman. Si l’apparition de ce genre, dans les années 50, a bien marqué une rupture par rapport au style romanesque hérité du XIXe siècle, de par l’absence de hiérarchie ou de chronologie dans l’action, de  » motivation  » à celle-ci, d’un narrateur omniscient, ou à cause de son caractère elliptique, sa forme nouvelle a enfanté une compréhension nouvelle du monde, du moins des aspects dont il est question dans le roman. Ainsi l’oeuvre, et chaque oeuvre de Marguerite Duras se ressent comme un chant, une litanie où ne subsistent que des mots récurrents, qui tendent à dégager une atmosphère souvent lourde et pesante, au propre comme au figuré, celle d’Un barrage contre le Pacifique, des Petits Chevaux de Tarquinia, de l’Amant… Le lecteur prend alors conscience du poids de son existence même.

En outre, l’utilisation de technologies nouvelles peut engendrer une oeuvre effectivement moderne. Les possibilités d’accéder à une  » réalité virtuelle  » nous sont en effet offertes aujourd’hui, et certains procédés aboutissent à l’élaboration d’une vie sensible ou sentie où le corps ne joue plus aucun rôle. L’oeuvre moderne est alors une sorte de medium onirique grâce auquel on visite le monde de l’artiste pour comprendre le monde réel. Dans le même ordre d’idées, il est possible d’envisager le cinéma comme un  » art moderne  » puisque son apparition a totalement changé la perception du public, en introduisant un traitement de la durée et du mouvement absents de la photographie ou de la peinture. De par sa forme, tout film peut donc prétendre à une sorte de modernité. Dans son explication du matérialisme, Epicure souligne le rôle de l’expérience, qui permet de connaître la réalité, ainsi que celui des prolepses, qui correspondent à la connaissance de celle-ci pour ce qui est de ses caractères immuables pour lesquels l’expérience n’a pas besoin d’être répétée. Un parallèle peut alors être tracé, et nous pouvons être amenés à considérer que l’oeuvre moderne a pour caractéristique de nous ouvrir les portes d’une partie inconnue de la réalité, où toute expérience est une nouvelle expérience, et dans lequel, par conséquent, les prolepses d’Epicure disparaîtraient. Cette comparaison audacieuse n’a en fait d’autre but que de mettre en relief le côté exceptionnel de l’apport d’une oeuvre dite moderne. Plus simplement, l’apport d’Une robe d’été, film court du réalisateur François Ozon, qui décrit la séduction d’un jeune homme sur une plage par une passante, comparé au poème des Contemplations  » Elle était déchaussée, elle était décoiffée…  » de Victor Hugo, qui célèbre l’amour enlevé à une jeune fille au bord de l’eau par le narrateur, réside justement dans l’inversion des rôles qui fait la modernité du cinéaste.

Shakespeare passe couramment pour un dramaturge moderne. D’ailleurs, le metteur en scène contemporain qu’est Ariane Mnouchkine s’est attaché à recréer les conditions de représentation des pièces de l’auteur anglais, perpétuant ainsi son mode travail, son théâtre. Il apparaît donc qu’une oeuvre considérée comme moderne s’inscrit dans la durée, et, dans le cas présent, dans l’histoire du théâtre. Cette modernité provient alors autant du style que du contenu. En effet, celle-ci implique presque obligatoirement le traitement d’un sujet éternel. Dans la dernière scène de La Tragédie d’Othello, William Shakespeare rend ainsi compte d’un trait essentiel de la nature humaine et de l’amour : la violence de l’amour et du désir de possession qui pousse le personnage principal à tuer sa maîtresse, dont il doute de la fidélité. Et de déclarer :  » la peine est selon Dieu/qui frappe là où elle aime… « . De même, dans le cas de l’oeuvre de Marguerite Duras, il est notoire que les mêmes thèmes intemporels réapparaissent, à savoir l’amour absolu qui est désir de mort, et l’impossibilité d’un tel amour qui marque les bornes de la vie, l’échec apparent dans l’Amant ou Dix heures et demie du soir en été, dont la fin n’est qu’une continuation inéluctable de la vie sans l’amour.

Qui plus est, la modernité de certaines oeuvres ne tient qu’à la façon dont elles nous font découvrir un thème, un caractère de l’homme qui ne change pas. Le travail d’écriture et de mise en scène théâtrales d’Heiner Müller en a été une parfaite illustration, étant basé sur des fragments souvent déjà écrits, empruntant aux mythologies antiques ou chrétiennes. Pour ce qui est des mythes grecs, l’artiste est-allemand s’accordait à penser de même qu’Aristote qu’ils mettent à jour les comportements des hommes sans en donner d’interprétations. En améliorant notre connaissance de nous-mêmes, des hommes en général, une oeuvre peut traverser les âges sans en pâtir, et cela témoigne de sa modernité. C’est pourquoi une oeuvre telle que For-ever Mozart, film du réalisateur de la nouvelle vague Jean-Luc Godard, peut être qualifiée de moderne. Les dialogues, et le scénario de ce film, composés d’extraits de textes d’auteurs de toutes les époques, expriment des notions éternelles que le cinéaste a choisi de mettre en valeur, l’amour dans la séquence intitulée :  » L’amour à Sarajevo « , le suicide, dans un passage qui reprend à la fois Albert Camus et Alfred de Musset :  » Le suicide est le seul problème philosophique vraiment sérieux. La vie est elle-même un si pénible rêve « . La modernité évidente d’un tel travail provient finalement du rapprochement de deux créations déjà existantes, mais dont le sujet est tel qu’il touche chacun et n’est jamais épuisé.

En guise de contre-exemple, nous pouvons citer Jules Verne ou bien Aldous Huxley. Le premier, auteur du XIXe siècle, est reconnu comme un précurseur, un écrivain qui maniait avec bonheur l’art de l’anticipation. Son oeuvre ne peut cependant pas être qualifiée de moderne, car, quand bien même des situations qu’il a prédites se réalisent après coup, l’impression de modernité n’est que momentanée et, une fois ses conjectures vérifiées, ses romans peuvent se démoder. Il en va de même pour Aldous Huxley, ainsi que pour tous ceux qui produisent des oeuvres de science-fiction. Bien que, jusqu’alors, son livre Le meilleur des mondes connaisse un regain d’intérêt avec le développement de la technique du clonage, son sujet, la création d’une catégorie d’hommes-esclaves, semble, à nouveau, plus contemporain, en osmose avec l’actualité, que moderne. Donc, un nouveau mode de création, une nouvelle idée, n’est pas nécessairement moderne si elle ne dure pas.

Finalement, une oeuvre moderne, quelle que soit son époque de création, est une oeuvre qui, de par l’originalité de sa forme, de laquelle dépend ma perception du monde, va me faire éprouver personnellement une vérité éternelle, à quelque époque que je vive. Une oeuvre moderne est une oeuvre particulièrement efficace qui contribue à améliorer ma compréhension et ma conscience de la vie. Si, avant de parler de sa modernité, une oeuvre nécessite d’être mise à l’épreuve du temps, peut-être faut-il alors être attentif au problème de la conservation des oeuvres.

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