par Terry Olson
Chères consoeurs, chers confrères,
M’adresser à vous est un honneur et un bonheur, à un double titre: traiter d’un thème historique me remet en mémoire le printemps 1975, qui m’a permis de composer dans une salle défraîchie du lycée Hoche à Versailles sur un intéressant sujet de l’épreuve du Concours général d’Histoire de cette année-là: « Comparez la société française en 1848 et en 1914 ». Cette épreuve m’a laissé le souvenir d’une expérience sereine, dont on a tout à espérer et rien à redouter. L’une des richesses du Concours Général est qu’il promeut l’effort intellectuel gratuit, alors que le sens de la gratuité fait cruellement défaut dans le monde actuel.
Le thème qui a été retenu pour cette Rencontre est d’actualité puisque le 9 décembre 2005 marque le centenaire de la loi de Séparation, qui est une des dates marquantes de l’histoire de notre pays.
Une précision de terminologie s’impose pour saisir la portée de la notion de laïcité. Cette notion est à distinguer du laïcisme auquel on donne généralement un sens tout différent. Le laïcisme désigne une idéologie de lutte contre le fait religieux, la religion étant censée être un obstacle au développement de la raison et du progrès humain ; il voit dans la religion, quelle qu’elle soit, une survivance appelée à disparaître tôt ou tard et conçoit quasiment la religion comme une superstition. La laïcité repose sur une logique très différente et procède d’une volonté de ne pas soumettre les autorités politiques à l’influence religieuse, et en sens inverse de prévenir toute ingérence du politique sur l’organisation des cultes et leur exercice.
Mais cette neutralité de l’État à l’égard des religions n’est pas synonyme d’indifférence, car il lui incombe de veiller à la liberté de conscience de chaque citoyen proclamée par l’article 10 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. L’État doit aussi garantir la libre pratique religieuse qui bénéficie à l’ensemble des cultes. Ceci vaut aussi bien pour les cultes historiquement présents de très longue date en France, catholicisme, protestantisme, judaïsme, comme pour les autres, qu’il s’agisse de l’islam ou de cultes minoritaires chez nous tels que le bouddhisme, l’hindouisme. Une responsabilité de l’État, et non des moindres en ce domaine, consiste à faire la part entre les religions et les sectes, celles-ci faisant l’objet de la loi du 12 juin 2001. Enfin, l’État doit veiller à ce qu’aucun citoyen ne soit l’objet d’une quelconque discrimination en fonction des convictions religieuses qu’il est libre d’avoir ou de ne pas avoir.
La loi de 1905 marque le point d’orgue d’une longue opposition en France entre le pouvoir politique et l’Église. Deux concordats entre la France et le Saint-Siège avaient été conclu, en 1516 puis en 1801. Le second avait été plus ou moins imposé par Bonaparte qui voulait avant tout que le fonctionnement de l’Église, à commencer par la nomination des évêques, soit contrôlé par le gouvernement.
Ainsi avait été mise en place au début du XIXème siècle un véritable « service public des cultes » régissant le culte catholique mais aussi le protestantisme et le judaïsme: les cultes étaient placés sous un contrôle assez étroit du pouvoir exécutif, mais en contrepartie bénéficiaient de certains avantages matériels, à commencer par la rémunération des ministres du culte sur fonds publics. Si les rapports avec le protestantisme et le judaïsme n’ont guère soulevé de difficultés, les relations entre la IIIème République et l’Église catholique ont connu une dégradation progressive, conduisant sous le ministère Combes à l’interdiction à peu près complète des congrégations, notamment enseignantes, puis à la rupture des relations diplomatiques en 1904. La loi portant séparation des Églises et de l’État, rapportée par Briand à la Chambre, est adoptée puis promulguée le 9 décembre 1905. Son application, au départ très conflictuelle avec l’affaire des inventaires, sera marquée par un apaisement après 1920, alors que l’Alsace-Moselle réintègre le giron français en conservant son régime concordataire. Les autorités religieuses ont pris conscience de l’autonomie accrue que ce système leur donnait.
La laïcité est aujourd’hui l’objet de débats nouveaux, portant notamment sur la place de l’islam dans une société française non seulement laïcisée mais sécularisée. Sa portée n’est plus seulement religieuse mais culturelle et sociale ; elle renvoie à d’autres débats autour de notions telles que l’intégration ou la communautarisation. Les Français, dans leur immense majorité, sont attachés à ce qu’elle soit respectée, notamment dans les services publics tels que l’école ou l’hôpital. Loin d’être un accessoire poussiéreux d’un passé révolu, la laïcité est un élément de respect de la liberté de l’individu et de préservation du tissu social. Si la laïcité est parfois mal comprise hors de nos frontières, la France peut et doit l’expliquer et, pourquoi pas, la faire partager.